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Notes d’art Roger Descombes

Article par Pierre Thée après une exposition à la Galerie Internationale de Genève, Janvier 1958


 

On ne résiste pas aux sollicitations d’une aventure de l’esprit si les mobiles de l’aventure répondent eux-mêmes aux injonctions mystérieuses de la nécessité intérieure. Partant, on se laisse guider en toute confiance, on passe des portes étroites pour découvrir les avenues précises d’un monde où le rythme du sang et la circulation naturelle, où le paysage est réduit aux signes mêmes de sa puissance, où la main humaine est présentée comme un objet de haute précision dépouillé de son rôle habituel où le pied humain a perdu sa fonction d’appui et de soutien pour devenir l’image exacte de cette merveille conçue par le Dieu le créateur, où l’œil est analysé dans son mécanisme et sa finesse terriblement complexe et logique d’appareil à enregistrer l’espace. Art d’anatomiste alors, ou de philosophe, ou de graveur travaillant à la loupe, ou de photographe au téléobjectif ? Ce serait sans doute tout cela si cet art n’avait pas un « sens », c’est-à-dire une destinée qui d’ailleurs nous échappe – il le faut – et une sensualité profonde, qui joue le rôle de pont et de langage.

Nous sommes loin du plasticien, formel ou non, pour qui le jeu des couleurs, des volumes et des lignes est le support d’un lyrisme ou d’un drame spécial: l’œuvre gravée et peinte de Descombes est un hommage à tout ce que les objets les plus familiers comportent d’invisible et d’inaltérable beauté; c’est un langage mystique, l’expression humble et innocente de la prière des choses vues par l’homme ordinaire comme des objets, mais que le « croyant », pourvu qu’il soit doué d’une sensibilité assez vive, arrive à vitaliser, à magnétiser suffisamment pour leur conférer la valeur de sujets d’une création unique. L’ovale d’un visage, la ligne pure d’une nuque, gravés sur la toile comme avec une pointe de feu, l’aristocratie du dessin et le respect attentif qui entoure une tache de couleur, voire la complicité du hasard qui impose à la matière ses craquelures tout concourt à donner, par la concentration de l’artiste et la collaboration de tous les éléments de son art, une solidité et une élégance primitives à ses peintures, voisines des vestiges anonymes des grandes civilisations anciennes.

J’ose croire que Roger Descombes est de taille à ouvrir de nouvelles perspectives sur l’art religieux, je veux dire un art de figuration symbolique en rapport intime avec l’essence mystérieuse des choses.

Pierre Thée
Tribune de Genève, Janvier 1958

Pierre Thée